Politique
"Le FN est stable dans
l'opinion" /
Article de L'Humanité (édition du 19
décembre 2005)
Extrême-droite .
Le sociologue Michel Simon a
lu l'enquête TNS-SOFRES sur les idées du Front
national. Il conteste
l'interprétation à la hausse qu'en a
donnée le Monde.
La popularité des
thèses du Front national
est-elle, selon vous, en hausse ?
Michel Simon : Non. Le contraste
entre les
résultats diffusés par l'institut TNS-SOFRES
lui-même sur Internet et le
commentaire qui en a été fait, est proprement
hallucinant. En réalité, c'est
plutôt la stabilité qui domine. 24 % des personnes
interrogées se disent
d'accord avec les idées défendues par Jean-Marie
Le Pen (contre 28 % en mai
2002). 26 % approuvent ses prises de position à propos de la
sécurité et la
justice, 24 % à propos des immigrés (contre
respectivement 31 % et 38 % en
octobre 1991). L'approbation des positions de Le Pen " sur les grands
problèmes " reste faible (14 %) ; en revanche, la
vigueur de leur
rejet, maximum en 1997-1999 (débuts du gouvernement de
gauche), a plutôt
fléchi. Enfin, 66 % des enquêtés
considèrent que " le Front national et
Jean-Marie Le Pen représentent un danger pour la
démocratie " : c'est
moins qu'en mai 2002 (70 %, Le Pen venait d'accéder au
second tour), mais plus
qu'en mai 2000.
Le Front national défend
des idées communes en
grande partie avec la droite. Ces idées gagnent-elles du
terrain ?
Michel Simon : Ce serait
plutôt le contraire.
Certes, 73 % des enquêtés continuent de penser
qu'on ne défend pas assez les
valeurs traditionnelles, 70 % que la justice n'est pas assez
sévère avec les
petits délinquants. En revanche, l'" accord " pour
rétablir la peine
de mort continue de reculer : 62 % en décembre
1991, 47 % en mai 2002, 34
% seulement en décembre 2005. L'affirmation : " Il
faut donner plus
de pouvoirs à la police " régresse
également (de 62 % en mai 2002 à 49 %).
Enfin, l'adhésion au thème de la
préférence nationale, central dans
l'argumentaire frontiste, tombe à son niveau le plus
bas : " Donner
la priorité (en matière d'emploi) à un
Français sur un immigré en situation
régulière " chute de 45 % (septembre 1991)
à 19 % et, en matière de
prestations sociales, de 43 % à 22 %.
Qu'en est-il de
l'hostilité aux immigrés, hors de
laquelle il n'y a pas de vote frontiste, comme vous l'avez
montré avec votre
collègue Guy Michelat ?
Michel Simon : Sur ce point, peu de
changement. 63
% des personnes interrogées sont " tout à fait "
ou " plutôt
d'accord " avec " il y a trop d'immigrés en France ". C'est
4
points de plus qu'en 2000-2004, mais on reste loin des 73 % de 1995 et
des 75 %
de 1993. Encore faut-il y regarder de plus près. Le vote
frontiste n'apparaît
avec des fréquences élevées que quand
la réponse témoigne d'une hostilité
particulièrement véhémente aux
immigrés (" tout à fait d'accord ").
Sinon, il reste rare ou nul. Or, cette réponse "
extrême " fléchit de
50 % en janvier 1993 à 41 % en mai 1995, à 31 %
en mai 2002 et à 32 %
actuellement. L'audience des thèmes sécuritaires
et racistes orchestrés par
l'extrême droite et une très large fraction de la
droite reste plus que
préoccupante. Mais, quand on songe aux " émeutes
urbaines " que nous
venons de vivre et à leur exploitation
idéologique, force est de conclure que
notre peuple n'est ni aussi malléable ni aussi fruste que
beaucoup le pensent,
voire le souhaitent.
Michel
Simon est professeur émérite de sociologie
à
l'université de Lille, il est l'auteur de nombreux travaux
sur
l'évolution de
l'opinion en France.
Dernier ouvrage publié
(avec Guy Michelat) :
les Ouvriers et
la politique. Permanence, ruptures, réalignements, 1962-2002,
Presses de Sciences-Po, 2004.
Entretien
réalisé par Alain Tremel